Par Frédéric Robert
Traditionnellement, les enfants occupent une place de choix dans la société indienne. Il y a cette conscience bien ancrée qu’ils représentent le futur de leur famille. La conscience de leur plasticité et donc de leur vulnérabilité face aux influences extérieures. La conscience de leur dépendance envers les adultes qui incite ces derniers à demeurer vigilants face à leurs différents besoins. La croyance également qu’ils sont une incarnation du Divin, à l’image de bébé Krishna. L’une des huit branches de l’ayurvéda (Kaumarabhritya) est dédiée à la grossesse et aux soins pédiatriques. Nous allons examiner dans cet article différents aspects de la vision indienne sur ce sujet.
L’enfance sous l’éclairage doshique
On peut dire que les trois doshas ou humeurs biologiques (Vata, Pitta et Kapha) constituent la pierre d’assise de tout l’édifice ayurvédique. Leur importance pour l’ayurvéda est égale à celle du concept du yin et du yang dans la médecine chinoise: c’est autour d’eux que s’articule toute la compréhension indienne du fonctionnement de l’être humain. Rappelons donc brièvement à quoi ils correspondent.
Dosha | Élément | Principe |
Vata | Air | Mouvement |
Pitta | Feu | Transformation |
Kapha | Eau | Cohésion |
J’ai évoqué dans un article précédent (La danse des éléments au sein de l’esprit) l’alternance des doshas au fil des heures de la journée. De la même manière, ils vont prendre chacun à tour de rôle le devant de la scène aux différents stades de la vie.
L’enfance est résolument dominée par le dosha Kapha. C’est en effet Kapha, en tant que principe de cohésion, qui est responsable de la formation des différents tissus et donc de la croissance. Cette prédominance de Kapha et de l’élément eau explique que nos petits amours puissent parfois se transformer en petits morveux! Le mucus est en effet un sous-produit de la formation des différents tissus. Il est ainsi normal que les enfants en produisent beaucoup mais il faudra néanmoins veiller à ce que cette production ne soit pas excessive. Mes plantes favorites pour assécher le mucus sont l’hysope (Hyssopus officinalis) et la fleur de sureau (Sambucus canadensis). Les Indiens, quant à eux, utilisent beaucoup l’acore odorant ou calamus (Acorus calamus) à cet effet, une plante qu’ils considèrent également comme très utile pour favoriser le développement de l’intelligence chez l’enfant. Il est à noter cependant qu’elle possède une saveur âcre qui peut se révéler rébarbative et qu’elle est officiellement considérée comme étant toxique par la F.D.A. (l’équivalent américain de Santé Canada).
L’âge adulte, quant à lui, sera vécu sous l’égide de Pitta et donc de l’élément feu. C’est en effet l’âge du feu des passions, des ambitions et des accomplissements. Finalement, la vieillesse verra Vata et l’élément air s’imposer avec le corps qui se dessèche et se rigidifie et l’esprit qui commence à se détacher du monde matériel. Il n’est pas rare de voir ainsi chez des gens qui ont été athées toute leur vie se manifester des élans religieux ou spirituels en fin de parcours…
Enfants Vata, Pitta et Kapha
La constitution (prakriti), c’est-à-dire la prédominance d’un ou de deux doshas chez un individu, est déterminée au moment de la conception. Cette constitution demeurera normalement la même durant toute la vie, à moins d’un événement majeur. Par exemple, un accident qui forcerait quelqu’un à rester alité pendant des mois pourrait avoir pour conséquence de le « kapha-iser ».
Les enfants chez qui prédomine le dosha Vata seront curieux et créatifs. Ils auront un monde imaginaire riche et fertile. Ils pourront se montrer enjoués et volubiles s’ils sont de type mercurien ou plutôt taciturnes et discrets s’ils sont de type saturnien. Le défi avec eux sera de leur donner un cadre afin qu’ils ne soient pas trop dispersés. Ils sont à ce titre les plus susceptibles de souffrir de déficit d’attention.
Les enfants chez qui prédomine Pitta seront actifs et dynamiques. Ce sont les enfants qui adorent les sports et les activités physiques et qui sont stimulés par la compétition. Le défi avec eux sera de bien asseoir son ascendant afin que le rapport d’autorité soit clair. Il peut y avoir également un enjeu au niveau de l’apprentissage de la gestion de la colère.
Finalement, les enfants chez qui prédomine Kapha seront doux et gentils. Ce sont les plus sensibles et par conséquent ceux qui ont le plus besoin d’être couvés. Le défi avec eux sera de les faire bouger et d’éviter les compulsions alimentaires qui pourraient résulter en problème de surpoids.
Quelques considérations
Dans la mesure du possible, un nouveau-né devrait être nourri exclusivement de lait maternel durant les six premiers mois de son existence. Si l’on souhaite le faire bénéficier de certaines plantes médicinales pendant cette période, on passera par l’entremise de la mère et du lait maternel. On pourra ensuite incorporer les plantes sous forme de tisanes légères ou en poudre dans du lait ou des purées. En Occident, nous avons aussi l’option pratique des glycérés, des concentrés liquides de plantes faits dans la glycérine végétale.
Afin de bien soutenir le processus de croissance, il sera important d’assurer une alimentation riche, saine et variée. L’ayurvéda recommande à cet égard principalement les grains entiers et les produits laitiers. Cela peut sembler paradoxal dans la mesure où les produits laitiers sont lourds et froids de nature et favorisent ainsi la surproduction de mucus. Cet effet mucogène peut cependant être contrecarré lorsque l’on consomme le lait loin des autres aliments, chaud et avec des épices tels le gingembre et la cardamome. Nous sommes donc bien loin du grand verre de lait froid avec des biscuits ou du gâteau typique de notre enfance nord-américaine!
Pour les enfants frêles et chétifs, l’ayurvéda préconise les grands toniques de fond que sont l’ashwagandha (Withania somnifera) et le shatavari (Asparagus racemosus) ainsi que le bala (Sida cordifolia), une cousine de notre guimauve (Althea officinalis).
La sagesse millénaire indienne accorde également beaucoup d’importance à l’environnement au sein duquel évoluera l’enfant. Le fait de se sentir aimé et protégé est crucial pour un développement psychologique sain. Le Charaka Samhita, un des textes fondamentaux de l’ayurvéda, va jusqu’à décrire en détail quels sont les jouets les plus appropriés pour eux et énumérer toute une série d’amulettes pour assurer leur protection.
Avant même la naissance
Les vieux textes indiens reconnaissent également tout ce qui peut être fait par les parents pour influencer positivement le développement de leur enfant, et ce, bien avant sa naissance. En effet, dès le moment de la conception, ils peuvent par le biais de leur imagination et de leur puissance créatrice imaginer toutes les qualités et toutes les vertus qu’ils souhaitent voir s’épanouir en lui.
Une attention toute spéciale devrait également être portée au bien-être de la mère durant les neuf mois de la grossesse puisque tout ce qu’elle vit et ressent se répercute sur son bébé. Son environnement devrait être doux et agréable et on cherchera à éviter chez elle toute forme de stress et de sentiment négatif. Cela évidemment dans la mesure du possible et sans culpabiliser si on n’y arrive pas toujours, ce qui pourrait devenir une source de stress en soi et ainsi devenir contre-productif!
Par-delà l’hérédité
La maladie et la vieillesse vont de pair. Cela ne choque personne de voir des personnes âgées atteintes de problèmes de santé majeurs. Par contre, lorsque des pathologies graves touchent de jeunes enfants, cela nous rend plus inconfortables.
Toutes les médecines du monde ont été influencées par les cultures qui les ont vues naître. La médecine de l’Inde ne fait évidemment pas exception à cette règle: l’influence du brahmanisme et de l’hindouisme s’y fait bien sentir. Ainsi, par-delà l’hérédité, l’ayurvéda émet le postulat que certaines pathologies (essentiellement les maladies chroniques, dégénératives, rares ou mystérieuses) sont le fruit du karma.
La plupart des Occidentaux ont une vision pour le moins étriquée du karma. Ils le voient comme une fatalité et n’en retiennent que la dimension punitive. Or, le karma est plutôt une simple loi mécanique complètement neutre. Pour prendre une analogie agricole, un fermier qui plante du blé dans son champ ne s’attend pas à récolter autre chose à l’automne. S’il se plaignait de ne pas récolter d’orge, on se moquerait de lui, on le traiterait d’insensé. Le karma ou loi de causes et effets correspond parfaitement à cet adage populaire: on récolte ce que l’on sème. Plutôt qu’une fatalité, il faut l’envisager comme une responsabilité de l’individu face aux actes qu’il choisit de poser. À chaque jour nous semons des graines. Certaines germeront rapidement, d’autres plus lentement. Leurs manifestations pourront ainsi apparaître seulement dans une prochaine existence.
Les maladies d’origine karmique seront toujours plus difficiles à traiter car elles ont leur raison d’être dans le chemin d’évolution de l’âme. Encore une fois, plutôt que de les voir comme une fatalité ou une condamnation il faut plutôt les appréhender comme un défi à relever, une opportunité de se dépasser. Et dans le cas où elles se manifestent en bas âge, ce défi sera autant celui des parents que de l’enfant.
Cette conception a le mérite de donner du sens à ce qui autrement ne peut être perçu que comme une grande injustice et qui souvent va générer des sentiments de colère et de révolte.
Notre contribution
Un enfant est une ardoise vierge, un tableau à peine esquissé. Nous avons la chance et le privilège en tant qu’adultes de pouvoir contribuer à cette œuvre en devenir. Il importe de faire bon usage de cette responsabilité qui nous est impartie en imprimant sur ces jeunes consciences les plus beaux et nobles clichés! Si cette conscience grandit de plus en plus en Occident, la sagesse indienne s’y emploie pour sa part depuis des millénaires.
Références
FRAWLEY, David. Ayurveda, A Comprehensive Guide, Lotus Press. 2001.
FRAWLEY, David, LAD, Vasant. The Yoga of Herbs, second edition, Lotus Press, 2001.
LAD, Vasant. Textbook of Ayurveda, Fundamental Principles, The Ayurvedic Press. 2002.
SVOBODA, Robert E. Ayurveda, Life, Health and Longevity, The Ayurvedic Press. 2004.
Photo d’entête par Katherine Hanlon sur Unsplash