Par Frédéric Robert
L’ayurvéda, en tant que médecine holistique, ne s’occupe pas uniquement de la santé de notre corps physique mais bien également de celle de notre esprit. Elle a développé au fil des millénaires toute une gamme de moyens pour prendre soin de notre être dans sa globalité. Nous allons aborder dans cet article sa vision de notre univers mental et ce qu’elle préconise pour maintenir l’équilibre et le bon fonctionnement de notre intellect.
Anatomie énergétique de l’esprit
Dans la pensée ayurvédique, tous nos processus corporels et psychiques découlent de la danse séculaire entre les différents éléments: terre, eau, feu, air et éther. De leurs alternances, de leurs combinaisons, de leurs prédominances.
Manas (notre mental) est d’abord et avant tout une émanation de l’éther, le plus subtil des cinq éléments et celui qui embrasse tout. Pour citer David Frawley dans son excellent livre Ayurveda and the mind:
« L’esprit est comme l’espace : expansif, ouvert et omniprésent. La tristesse n’est rien d’autre qu’un espace mental restreint. Comme un oiseau prisonnier dans une cage. La félicité est un espace mental illimité, comme un oiseau volant librement dans le ciel. »
Au sein de cet espace, les quatre autres éléments vont agir en fonction de leur nature propre.
C’est l’élément feu, représenté par le dosha Pitta, qui façonne buddhi (notre intelligence). En effet, ce feu qui nous permet de digérer les aliments que nous ingérons nous permet également de digérer les impressions que nous recevons. Il nous apporte nos capacités de réflexion, de discernement et de discrimination. Si vous avez des gens de constitution Pitta dans votre entourage (c’est-à-dire chez qui l’élément feu prédomine), vous avez sûrement remarqué qu’ils ont tendance à être plus critiques et perspicaces que la moyenne. Un excès de feu, cependant, sera la cause d’un mental hyper critique et dogmatique.
L’élément air, qui s’incarne dans le dosha Vata, insuffle également certaines qualités à notre psyché, telles la curiosité, la soif d’apprendre et la créativité. L’air possède cette capacité d’alimenter la flamme de notre esprit, de la même manière que l’on souffle sur les braises pour raviver un feu de camp moribond. Par contre, un excès d’air entraînera un mental dispersé, dissipé. Une bourrasque de vent trop forte peut transformer notre joli feu en un sinistre brasier! Ou tout simplement éteindre la flamme de notre bougie…
Les éléments eau et terre, associés au dosha Kapha, seront pour leur part responsables de la sensibilité et de la capacité de rétention (la mémoire), principe duquel découle d’ailleurs l’homéopathie et les élixirs floraux, ainsi que de la stabilité de l’esprit. En excès, l’élément eau amènera une hypersensibilité et l’élément terre paresse intellectuelle et léthargie.
La danse des doshas au fil des heures de la journée
De la même manière qu’ils s’alternent au fil des saisons, les doshas se succèdent tout au long de la journée, prenant chacun à tour de rôle le devant de la scène.
Doshas | Heures |
Kapha | 6h00 à 10h00 |
Pitta | 10h00 à 14h00 |
Vata | 14h00 à 18h00 |
Kapha | 18h00 à 22h00 |
Pitta | 22h00 à 2h00 |
Vata | 2h00 à 6h00 |
Les heures Pitta seront les plus propices pour les études puisque notre mental est alors beaucoup plus enclin à se concentrer, alors que les heures Vata se prêteront à tout ce qui est du domaine de la création ainsi qu’à la méditation. Cela explique pourquoi de nombreux artistes sont des oiseaux de nuit, de même que l’habitude des Indiens de se lever bien avant l’aurore pour méditer: ils profitent des heures Vata qui sont favorables à ces activités. Les heures Kapha amènent quant à elles une certaine lourdeur, donc il vaut mieux les éviter pour tout travail qui demande un effort intellectuel. C’est aussi la raison pour laquelle on recommande de se coucher avant 22h00 car il est plus facile de s’endormir dans la lourdeur de Kapha. Passé cette heure, on ressent souvent un regain d’énergie (que l’on peut d’ailleurs choisir de mettre à profit!).
L’incidence des goût sur manas et buddhi
La base de tout traitement ayurvédique est l’alimentation, avant même les plantes médicinales. Et ce que l’on mange à chaque jour n’affecte pas seulement notre corps, cela a également une incidence sur notre intellect. Ainsi, la consommation abondante d’aliments denses comme la viande et les produits laitiers aura tendance à engendrer de la lourdeur mentale. Inversement, les aliments de nature légère comme les fruits vont plutôt favoriser un mental alerte et allègre.
Parmi les différents goûts, c’est l’amer qui a le plus d’affinités avec l’esprit puisqu’il est composé des éléments air et éther. La consommation d’aliments et de plantes amers stimule la nature expansive de manas et favorise le bon fonctionnement des influx nerveux. Ce goût sera profitable particulièrement aux constitutions Kapha et Pitta, chez qui l’élément air est moins présent. Trop d’amer par contre peut engendrer de l’hyperactivité, de la nervosité, et, éventuellement, de l’épuisement nerveux. Tout est question de bon dosage!
Le goût épicé, pour sa part, amalgame des éléments feu et air, ne stimule pas seulement jatharagni (notre feu digestif). Il active également tejas (la forme subtile de Pitta qui agit au niveau de l’esprit), éveillant ainsi buddhi et favorisant de ce fait la clarté mentale. Il sera particulièrement utile aux constitutions Vata et Kapha chez qui l’élément feu est déficitaire.
Une panoplie d’outils pour notre esprit
L’ayurvéda nous offre tout un éventail de moyens pour nourrir, tonifier et régénérer notre intellect. Et cela commence dès la naissance! En effet, il est de coutume en Inde de masser régulièrement les bébés avec de l’huile de sésame afin de stimuler le développement de leur cerveau. Cela s’explique par la connaissance du fait qu’il s’agit du même tissu chez l’embryon qui va former la peau et le système nerveux. Il y a donc une connexion profonde entre les systèmes tégumentaire et nerveux. Et c’est pour cette raison que recevoir un massage procure une telle sensation de bien-être! Le massage n’agit pas simplement sur les muscles, il agit également sur les nerfs. Prodigué avec de l’huile de sésame, il ne va pas simplement les calmer mais également les nourrir en profondeur.
Parmi les plantes ayurvédiques qui favorisent la clarté mentale et les fonctions cognitives, on note principalement le bacopa (Bacopa monniera), le gotu kola (Centella asiatica) et le basilic sacré (Ocimum tenuiflorum, Ocimum gratissimum). Ce dernier, la plante la plus vénérée en Inde après le lotus, est particulièrement utile pour dissiper la brume mentale induite par la consommation excessive de cannabis. Le bacopa, pour sa part, excelle dans les cas de déficit de l’attention. Quant au gotu kola, en tant que grand tonique des tissus conjonctifs, il favorise l’intégrité des vaisseaux sanguins qui viennent irriguer notre cerveau, assurant ainsi une meilleure oxygénation de celui-ci. Beaucoup moins connu et donc beaucoup plus difficile à trouver, le shankha pushpi (Evoluvus alsinodes) est une autre plante indienne qui est réputée tonifier les fonctions cérébrales et qui est considérée comme rasayana (régénératrice) pour l’esprit. Finalement, notons au passage que l’ashwagandha (Withania somnifera), ce grand tonique de fond aux multiples vertus, se révèle également utile pour nourrir et clarifier le mental. Il sera particulièrement approprié pour ceux et celles qui manquent d’ancrage (essentiellement les gens de constitution Vata, chez qui l’élément air prédomine).
Dhyana (la méditation), pratiquée en Inde depuis des millénaires, est également un magnifique outil pour discipliner l’esprit et fortifier dharana (notre capacité de concentration). Elle constitue en fait un fantastique antidote à nos modes de vie actuels qui favorisent plutôt la dispersion mentale. Nous sommes en effet trop souvent soumis à une surabondance de stimuli, ce qui surexcite et éventuellement épuise manas. Pour nombre d’entre nous, cependant, s’asseoir sans bouger et (en apparence) ne rien faire semble une tâche impossible! Il sera donc particulièrement utile d’utiliser un objet sur lequel concentrer notre attention (une image qui nous fait du bien, la flamme d’une bougie) et d’y aller progressivement. On ne se lance pas dans un marathon sans un entraînement préalable!
La récitation de mantras peut également être mise à profit pour aider le mental à rester centré. Parmi les bija mantras (mantras à une syllabe), AIM est spécifique pour favoriser la concentration et éveiller buddhi. Diriger son attention vers le troisième œil, le point situé entre les deux sourcils, est un autre truc tout simple qui, de mon expérience personnelle, donne de très bons résultats pour éviter les pensées importunes durant la méditation.
Un esprit sain dans un corps sain
La plupart d’entre nous déployons beaucoup de moyens pour prendre soin de notre corps physique et maintenir ainsi son homéostasie. Notre esprit peut également bénéficier d’une telle attention puisqu’il possède lui aussi ses propres besoins et peut être l’objet de différents déséquilibres. Cet article vous a proposé un exposé succinct de ce que préconise l’ayurvéda à cet effet.
Références
FRAWLEY, David, Ayurveda and the Mind, Lotus Press. 1996.
FRAWLEY, David, LAD, Vasant, The Yoga of Herbs, second edition, Lotus Press, 2001.
FRAWLEY, David, Ayurvedic healing course for health professionals, part 1 , 2006.
WINSTON, David, MAIMES, Stevens, Adaptogens, Healing Arts Press, 2007.
Photo d’entête par Joshua Newton sur Unsplash