Par Frédéric Robert
Toutes les médecines traditionnelles du monde, que ce soit la médecine autochtone d’Amérique, la médecine chinoise, la médecine indienne ou l’herboristerie occidentale, possèdent ce point commun: elles s’emploient à honorer ce lien sacré qui existe entre l’être humain et le monde végétal. Un lien étroit, voire symbiotique, qui s’explique par le fait que nous avons évolué de concert au fil des millénaires. Et au sein de cet univers végétal foisonnant, on peut dire que les arbres occupent une place privilégiée. Ainsi, plusieurs essences ont été vénérées par différents peuples, que l’on pense au chêne sacré des Druides ou à l’arbre de la Bodhi en Inde sous lequel le Bouddha est censé avoir atteint l’éveil. Également, de tous temps, l’être humain a eu recourt à la puissante médecine de multiples variétés d’arbres pour se soigner. Nous allons nous pencher dans cet article sur quelques-unes de celles qui enrichissent la pharmacopée ayurvédique.
Triphala: amalaki, bibhitaki et haritaki
L’amalaki ou amla (Emblica officinalis), le bibhitaki (Terminalia belerica) et l’haritaki (Terminalia chebula) sont trois petits fruits qui constituent les ingrédients de l’un des remèdes phares de l’ayurvéda: le triphala (mot qui signifie justement trois fruits). Ils sont issus de différentes espèces d’arbres de la famille des Euphorbiaceae pour l’amalaki et de la famille des Combretaceae pour le bibhitaki et l’haritaki.
Le triphala est utilisé principalement comme un tonique relativement doux pour le transit intestinal. Il peut donc être pris sur une base quotidienne. De plus, il peut se targuer d’être un rasayana tridoshique, c’est-à-dire un régénérateur pour les trois doshas : l’amla est spécifique pour Pitta, le bibhitaki pour Kapha et l’haritaki pour Vata.
On peut dire sans exagération que la constipation est une obsession pour l’ayurvéda : on cherche à l’éviter à tout prix! La raison en est qu’une stagnation au niveau du côlon entraîne une réabsorption d’ama (de toxines) qui auraient dû être éliminées, avec toutes les conséquences que cela implique. Idéalement, nous devrions évacuer une fois par jour et ce dans l’heure qui suit notre réveil. L’usage du triphala est donc préconisé pour assurer ce transit régulier. On peut le prendre à cette fin en soirée, à raison d’une c. à thé diluée dans un verre d’eau ou de jus (attention, saveur profondément rébarbative!). Cependant, pour les cas de constipation sévère le triphala risque de se révéler impuissant et il faudra donc se tourner vers des substances un peu plus fortes.
Examinons maintenant les propriétés individuelles de chacun de ces trois fruits.
L’amla est particulièrement riche en vitamine C (qui plus est, une forme de vitamine C qui résiste bien à la chaleur). Il se révèle donc très anti-oxydant. Il est considéré par l’ayurvéda comme un des plus puissants rasayanas qui soient. Il aide le corps à construire de nouveaux tissus et augmente le taux de globules rouges dans le sang. Il nourrit les os, renforce la vision, fortifie les dents et les ongles, favorise la pousse des cheveux et prévient leur perte et leur blanchiment. En bref, il est efficace pour retarder tous les processus de dégénérescence en lien avec le vieillissement. Il agit aussi comme un bon anti-inflammatoire pour le côlon, en plus de son action laxative, et se révèle intéressant pour soigner les saignements des gencives. Il est également l’ingrédient principal d’une autre formule vedette de la pharmacopée ayurvédique : le chyavan prash (dont j’ai déjà parlé dans un article précédent, l’Art de la longévité selon l’ayurvéda).
Le bibhitaki est assurément le moins connu des trois fruits et le moins utilisé en solo. En tant que rasayana spécifique pour Kapha, il possède une affinité avec le système respiratoire qu’il tonifie et il est efficace pour assécher l’excès de mucus un peu partout. Au niveau digestif, en plus de son action laxative, il possède des vertus anti-parasitaire et astringente qui le rendent également utile en cas de diarrhée. Lithotritique, on pourra aussi le mettre à profit lors de la présence de pierres aux reins.
L’haritaki, quant à lui, brille particulièrement au niveau de la sphère digestive. En plus d’améliorer la digestion et l’absorption, il se révèle autant utile en cas de constipation que de diarrhée, étant comme le bibhitaki à la fois laxatif et un bon astringent. Cette forte astringence le rend également utile dans les cas de descente d’organes ainsi que pour tous les problèmes en lien avec une perte excessive de liquide (transpiration abondante, diarrhée, ménorragie, spermatorrhée, leucorrhée).
Un mot sur l’astringence. L’astringence est considérée par l’herboristerie occidentale comme une propriété médicinale. Pour l’ayurvéda, il s’agit plutôt d’un goût (dont le thé et le vin constituent des exemples classiques) duquel découlent certaines propriétés. Ainsi, lorsque l’on dit d’une plante qu’elle est astringente, nous savons qu’elle sera par extension anti-inflammatoire (pour la peau en externe et pour les muqueuses en interne), styptique, vulnéraire etc. Cela s’explique par le fait qu’elle possède des tannins qui ont pour effet de resserrer les tissus.
Le goût astringent est perçu de prime abord comme asséchant. Il est donc à éviter en excès pour les individus de constitution Vata qui ont tendance à souffrir de sécheresse. Cependant, lorsque qu’il y a présence d’une perte excessive de liquide, cette même astringence se révélera utile pour endiguer la fuite et donc préserver nos précieux fluides. L’astringence peut ainsi se révéler l’allié inopiné de Vata et c’est ce qui explique que certains des rasayanas spécifiques pour Vata comme l’haritaki sont des astringents.
Arjuna
Arjuna n’est pas seulement le nom d’un des héros de la Bhagavad Gîtâ, ce poème épique qui constitue l’un des textes fondamentaux de l’hindouisme, il s’agit également d’une autre espèce d’arbre de la famille des Combretaceae qui est utilisée à des fins médicinales.
On peut dire que l’arjuna se présente à bien des égards comme l’équivalent ayurvédique de notre aubépine (les deux plantes travaillent d’ailleurs très bien en synergie!). Son écorce est ainsi mise à profit pour toute une panoplie d’indications en lien avec le cœur. L’arjuna est autant utile pour prévenir les maladies cardiaques comme l’hypertension que pour aider à la récupération de cet organe après un incident malheureux comme une crise cardiaque, l’un des plus grand fléaux de notre époque. À cet égard, l’arjuna se révèle un allié ô combien précieux qui peut permettre de prolonger des vies. Fluidifiant sanguin, il assure également une coagulation normale. Son action sur le cœur est donc équilibrante et normalisatrice.
Comme ses cousins l’haritaki et le bibhitaki, l’arjuna est aussi un bon astringent, ce qui lui confère une action tonique sur les muqueuses et les tissus. Autre aspect intéressant de sa médecine et qui cette fois le différencie de l’aubépine, il aide à la réparation des os lors de fractures.
Dans son aspect plus subtil, l’arjuna favorise le courage et fortifie notre volonté personnelle, nous aidant à clarifier nos buts et à atteindre nos objectifs. À l’image justement de l’Arjuna de la Bhagavad-Gîtâ!
Margousier (neem)
Attention à ne pas confondre le margousier ou neem (Azadiracta indica), un arbre à l’écorce et aux feuilles très amères issu de la famille des Meliacea, avec l’argousier (Hippophae rhamnoides), un petit fruit orange riche en carotène et différents type d’omégas!
Le margousier est considéré en ayurvéda comme un puissant purificateur sanguin et un détoxifiant général pour l’organisme. On pourra ainsi le mettre à profit dans les cas de problèmes de peau en lien avec un excès de toxines (eczéma, urticaire). Il est également très efficace pour traiter les parasitoses de même que pour faire baisser la fièvre. Il se retrouve d’ailleurs souvent dans les protocoles contre la malaria aux côtés de l’andrographis (Andrographis paniculata), une autre plante ayurvédique qui lui rivalise en matière d’amertume. En résumé, le margousier s’utilise dans toutes les conditions où il y a présence d’une chaleur toxique. À cet égard, il s’agit d’un excellent choix pour pacifier un Pitta exacerbé. Il sera par contre à éviter pour Vata sur le long terme, compte tenu de sa nature froide et sèche, surtout chez les individus émaciés. Chez Kapha, il pourra contribuer à un protocole de perte de poids. Et comme toutes les plantes amères, il a une action régulatrice sur la glycémie.
Compte tenu de son amertume très franche, la prise en tisane peut se révéler un défi. Je préfère personnellement le recommander en capsules.
Sous forme d’huile, on l’utilise en externe pour les peaux à problème ainsi que comme répulsif sur les plantes qui sont infestées de parasites. À noter cependant que l’odeur et la texture ne sont pas très agréables. Il se retrouve également souvent dans les pâtes dentifrices pour son action antibactérienne. En Inde, on mâche tout simplement des bouts de son écorce pris directement de l’arbre dans ce but, ce que j’ai eu la chance (je ne dirai pas le plaisir!) d’expérimenter.
La nature à la rescousse
On ne peut qu’être empli de gratitude face à tout ce que la nature nous offre pour nous nourrir et nous soigner. L’univers des arbres contient son lot de trésors et cet article vous en a présenté quelques-uns qui figurent en tête de liste au sein de l’arsenal thérapeutique ayurvédique.
Références
FRAWLEY, David. Ayurvedic Healing. Lotus Press, 2000.
FRAWLEY, David, LAD, Vasant. The Yoga of Herbs, second edition. Lotus Press, 2001.
LAD, Vasant. Ayurvedic Home Remedies. Harmony books, 1998.
LAD, Vasant. Textbook of Ayurveda. Ayurvedic Press, 2002.